Inventing Anna, série US par Shonda Rhimes (2022)

Cette série en neuf épisodes est librement inspirée des arnaques commises par Anna « Delvey » Sorokin auprès de la JetSet New-Yorkaise.

La véritable histoire d’Anna Delvey Sorokin

Dans la réalité, Anna Delvey, de son vrai nom Sorokin, a quitté l’Allemagne où elle résidait avec sa famille pour effectuer des études de mode en France, avant de se rendre aux Etats-Unis. Là, elle s’endette pour se montrer dans les lieux fréquentés par des milliardaires, afin de s’en faire connaître sous la fausse identité d’une riche héritière Russe. Elle est alors recommandée par les uns autres autres et, sous prétexte d’avoir des problèmes de carte bancaire, se fait inviter gratuitement à de luxueux évènements. Et ne rembourse jamais de larges sommes qui paraissent, aux yeux de cette élite, trop dérisoires pour lui en tenir rigueur… Anna s’organise également auprès de banques pour obtenir un prêt afin d’ouvrir un centre d’art à destination de la JetSet. Elle laisse aussi derrière elle de nombreux impayés, auprès d’hôtels et de certaines de ses amies moins fortunées. La justice finit par la rattraper et, suite à un procès médiatisé, Anna est condamnée à quelques années de prison.

Anna Delvey

Article de Jessica Pressler (aka Vivian Kent) : How Anna Delvey Tricked New York’s Party People

Rachel DeLoache

Ex-amie et victime d’Anna

Kacy Duke

Coach et amie d’Anna

Inventing Anna, la série où « tout est vrai, excepté ce qui est inventé »

Dans sa série, Shonda Rimes prend des libertés avec la véritable histoire d’Anna Delvey, afin de faire passer certains messages. Certains me semblent légitimes, et d’autres moins… D’un côté, la série fait de son mieux pour éviter le manichéisme si agaçant dans les séries état-uniennes ; de l’autre, les protagonistes paraissent un peu trop attachés à Anna, et excusent ses travers avec trop de facilité.

Le rêve américain, une vaste fumisterie

S’il y a bien un message qui m’a marqué dans cette série, c’est celui qu’on ne peut intégrer l’élite qu’en trichant. En somme, « l’ascenseur » social est hors service, et il faut passer par des chemins détournés pour gravir les échelons. Anna parvient en effet à intégrer l’élite par le bouche à oreille de son réseau, et c’est par des recommendations qu’elle obtient la confiance de la JetSet. Il lui a suffit d’ouvrir un compte à crédit et de dépenser l’argent qu’elle empruntait ainsi pour enclencher l’engrenage. Evidemment, il lui a aussi fallut travailler son apparence et ses relations ; mais, en somme, « l’habit fait le moine ». Une personne qui dépense comme si l’argent ne comptait pas est forcément riche… et propre à être recommandée par d’autres membres de l’élite, voire par leur personnel, entretenant ainsi une illusion de richesse, qui lui donne accès à d’autres crédits bancaires. Si Anna n’avait pas mené d’arnaques plus frontales, elle aurait peut-être vécu ainsi bien plus longtemps. Et, si ce message n’avait pas été entaché par les autres escroqueries d’Anna, l’admiration des protagonistes pour elle aurait été plus acceptable à mon sens.

Associer le féminisme et la manipulation ?

C’est Anna, par exemple, qui transmet explicitement les messages féministes de la série —et les difficultés qu’une femme peut rencontrer à intégrer un milieu entreprenarial encore contrôlé par les hommes. Mais le féminisme consiste-t-il a manipuler les autres par son apparence ? Si c’est encore une obligation pour les femmes de se travestir pour être prises au sérieux, Anna n’est pas la meilleure candidate pour en devenir le porte-parole. Ou plutôt, elle n’est pas assez secondée par les autres personnages dans ce récit, bien que la journaliste racontant cette histoire ait également été flouée par un ami dans le milieu du travail. Pour moi, l’approche est intéressante mais maladroite.

Cependant, la série se montre féministe par d’autres aspects. Déjà, parce que la majorité des personnages sont des femmes (cis ou trans), avec des personnalités et des aspirations différentes. On y voit des femmes nuancées, que ce soit dans leur bons comme dans leur mauvais côtés. Par exemple Vivian, la journaliste qui sert de fil rouge au récit, refuse sa maternité car elle veut faire carrière, et c’est son époux qui endosse le rôle de parent aimant. Et pourtant, Vivian se montre maternelle avec Anna… Je regrette que cet aspect n’ait pas été plus fouillé. La série est courte, et lance de nombreuses pistes, mais c’est dommage qu’elle n’aille pas plus en profondeur.

Portrait de psychopathe

La série nous offre aussi une représentation rare en fiction : un portrait de femme psychopathe. Attention, ce terme n’est pas ici synonyme de meurtrier. Il s’agit d’un trouble de la personnalité, aujourd’hui appelé antisocial. Anna en présente tous les traits : pour elle, seule sa personne compte. Elle ignore les règles sociales, de la politesse aux lois, et les conséquences de ses actes. C’est moins de la méchanceté qu’une incapacité à prendre en compte l’existence des autres. Pour elle, rien n’est mal, car elle ne joue pas avec les mêmes règles que le reste de la société, et elle pique une crise dès que cette approche est contrariée. Vivian se demande d’ailleurs, (enfin !), si elle n’est pas elle-même tombée dans ce piège, comme c’est effectivement le cas selon moi. Qui a créé Anna Delvey ? Elle-même : ni ses parents, ni son passé. Anna s’invente et se choisit au fil de son impulsivité, et n’a pas d’explication « logique » qu’une journaliste puisse investiguer.

La personnalité d’Anna, d’une confiance impressionnante, fascine et séduit de nombreux personnages, jusqu’à les détruire. Sa famille en a fait les frais et a choisi de couper les ponts, seule solution de protection durable face à ce type de personne. Cela provoque l’incompréhension de Vivian et de l’avocat d’Anna, mais je pense qu’ils n’ont pas bien saisit à qui ils avaient affaire. Anna n’est pas méchante, mais elle est dangereuse. Ses intentions ne sont pas de nuire, mais de faire ce qui lui plait, sans prendre quoi que se soit d’autre en considération. Ceux qui souhaitent « l’aider » ou « la guérir » n’ont pas compris qu’elle n’était ni malade ni sans défense. On ne peut pas l’approcher comme une personne sociale ni essayer de la changer, mais l’accepter telle qu’elle est, en n’oubliant jamais qu’elle fera toujours passer ses intérêts avant ceux des autres, même les personnes qu’elle apprécie.

Une vraie réalisation

Visuellement, cette série est une réussite. Elle propose un jeu de transition amusant entre les scènes, qui se répondent au travers du temps.

Les actrices et acteurs sont tous crédibles et attachants, à leur manière. Julia Garner, toute en nuances dans le rôle principal, offre une performance époustouflante. Si j’ai été agacée par les interviews avec la véritable Anna Delvey, cette dernière étant beaucoup trop focalisée sur elle-même pour enrichir autrui, Julia Garner m’a fascinée. « Son » Anna est devenu pour moi un personnage fascinant, bien plus que l’arnaqueuse sur laquelle son personnage est basé. J’espère revoir cette actrice dans d’autres rôles !

Conclusion

Inventing Anna est une bonne série, avec beaucoup d’idées qui auraient mérité plus de profondeur. Shonda Rhimes apporte de la dimension à une histoire somme toute triviale, et Julia Garner sublime l’ensemble avec sa performance.

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