L’Ecume des jours, film dramatique de Michel Gondry, 2013

Dans un monde où les jeux de mots se réalisent à la lettre et où on concocte des cocktails sur un orgue, Colin tombe amoureux de Chloé, et son ami Chick s’enflamme pour les oeuvres de Jean-Sol Partre. Mais leurs mondes idylliques basculent lorsque Chloé tombe malade et que la passion de Chick se transforme en obsession…

L'Ecume des jours poster
Le film est joli mais… bon. Bof.

J’ai adoré l’oeuvre originale de Boris Vian, surtout sa fin poignante et absurde qui plonge l’être dans le néant (bien qu’elle soit moralement datée). J’étais donc plutôt impatiente de découvrir cette adaptation. Pour ceux qui connaissent les deux oeuvres, vous vous doutez déjà que la toute dernière scène m’a laissée sur ma faim, et même profondément déçue.

Pourtant, visuellement, il y a de très bonnes idées. L’atmosphère du livre est rendue assez fidèlement, les jeux de mots et d’images fusent, le fait que le film, sur la fin, perde peu à peu sa couleur pour accompagner l’image accompagne bien le récit. Cependant, la réalisation est terriblement confuse. Il faudrait se passer le film au ralenti pour pouvoir comprendre tout ce qui s’y passe ou s’y dit, ou le revoir beaucoup -ce que je n’ai vraiment pas envie de faire.

En effet, la tragédie qui incombe à Colin nous laisse de marbre : ce personnage est insupportable. Il aime Chloé ? Bien sûr ! Elle est belle, drôle, spirituelle, et l’accepte tel quel. Mais pourquoi l’aime-t-elle ? C’est un grand mystère, car ce Colin est capricieux, désagréable et autoritaire. On dirait presque qu’elle doit insister pour qu’il accepte de se laisser aimer. De même, Chick n’a rien pour pour plaire dès lors que sa passion tourne à l’obsession ; pourquoi Alise s’attache-t-elle à ce point à lui ? Rien dans le film ne l’explique.

D’autre part, le film fait part d’une certaine complaisance déplaisante et déplacée au sujet des femmes. D’accord, l’oeuvre originale n’est pas particulièrement paritaire, mais prétendre qu’on a fait preuve de féminisme en critiquant mollement une publicité affichant deux femmes nues dans une voiture ne suffit pas à rattraper le reste : Chloé qui tombe amoureuse de Colin parce que lui l’a choisie, Chloé qui tombe malade mais ne reçoit aucune information de la part de son médecin, qui lui ment ou explique la situation uniquement à Colin même quand elle est présente, Chloé qui se voit accorder un gros plan de baiser lesbien avec une femme qui devient, scène suivante, la maîtresse de Colin.

Je n’ai rien contre les baisers lesbiens, qui sont franchement agréables, mais j’ai quelque chose d’énorme contre les scènes inutiles à l’intrigue, surtout quand elles établissent des différences de traitement flagrantes entre les femmes et les hommes. Pour inclure vraiment la communauté LGBT+, clairement visée par l’ajout de ces scènes absentes du roman, il aurait fallut faire preuve d’égalité, ou du moins de bon sens : qu’Alise couche avec Chloé et Colin au lieu de se contenter d’embrasser Chloé, par exemple. Pas qu’elle réalise le fantasme masculin stéréotypé selon lequel une femme ne se laisse tenter “qu’un peu” au lesbianisme, et qu’elle change d’orientation sexuelle dès qu’elle retrouve un homme. Non, quand on est bi, ou lesbienne, on ne se contente pas d’embrasser Audrey Tautou, désolée. Idem pour l’allusion à demi complice selon laquelle Nicholas est bi : si ce film avait accepté ces orientations sexuelles, il n’y aurait pas eu de demi mesures, pas de mots couverts. Quand on accepte quelqu’un, c’est oui ou c’est non, ce n’est pas “un peu, dépendamment de la réception au box office”.

J’ai également été dérangée par le fait que Nicolas, le serviteur de Colin (officiellement son avocat), soit noir. Cependant, après avoir réfléchit au casting, il semble logique d’avoir choisi les personnalités les plus connues dans les rôles principaux, soit Romain Duris et Audrey Tautou, puis Gad Elmaleh et Omar Sy (Chabat en bonus). Je n’ai pas vraiment mon mot à dire non plus sur cette répartition des rôles, car au final c’est aux personnes subissant des discriminations au quotidien de décider si cette représentation est ou non problématique. Je dirais cependant que voir Nicolas se faire mettre à la porte comme un chien m’a autant réjouit que de constater que le personnage de Chloé a autant de liberté que les girafes en cages : aucune.

*

Pour conclure, j’ai été déçue par ce film. Je m’attendais à y fondre en larme, et je n’ai pas même été émue (pourtant il en faut fort peu pour me faire pleuvoir). Sa représentation des femmes, des LGBT+ et peut-être même des personnes noires est clairement problématique. Il fait montre de moyens et d’inventivité mais n’a aucune profondeur. Je ne dirais pas qu’il est entièrement mauvais, mais je ne le conseillerais pas franchement à quiconque. Allez voir quelque chose de moins vendeur mais de plus satisfaisant pour les neurones.

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