Perry-the-Winkle, poème de J.R.R Tolkien

Je n’aime pas la traduction de mon édition bilingue des Aventures de Tom Bombadil. J’aime traduire. Donc je me suis fait plaisir, et voici une traduction non littérale de ce poème de Tolkien -qui se focalise plus sur le jeu des sonorités et l’humour du texte que sur la parfaite précision de sa traduction.

Perry The Winkle

Le thé de Perry le Bigorneau
(traduction non littérale par moi)

Assis sur une pierre le Troll Solitaire
chantonnait, soupirait, avec tristesse cet air :
“Oh, pourquoi, pourquoi faut-il que je vive seul
sur ces collines qu’on surnomme les “Très Reculées” ?
Les miens sont tous partis, et tous hors de portée,
mon souvenir n’est plus présent dans leurs pensées ;
je suis le dernier de tous qui demeure, amer ;
il n’y a plus que moi de Weathertop à la Mer”.

“Je ne vole pas d’or, je ne bois pas de bière,
je ne mâchouille pas même de viande bétaillère…
Mais les Gens claquent les portes et des dents dans le noir
quand résonne le pas de mes arpions le soir.
Oh, comme je voudrais des pieds manucurés,
et que mes mains caleuses semblent bien moins rugueuses !
Pourtant mon cœur est tendre et mon sourire est doux,
et à ce que je crois, ma cuisine a bon goût.”

“Allez, allez”, pensa-t-il, “cela ne va pas !
Je vais faire de mon mieux pour trouver un ami ;
Parcourant la Comté tout petit à petit
je vais chercher de part en part et pas à pas”.
Il sortit donc de chez lui, marcha toute la nuit,
de ses chaudes chaussures enchâssées de fourrure ;
il parvint à Delving quand à peine l’aube luit
et que les gens s’éveillent tout juste entre leurs murs.

Jetant un œil alentours, devinez qui il vit
sinon Madame Bunce avec son parapluie
et son panier, et tout, trottinant à l’envie ?
S’arrêtant, il salue d’un sourire poli :
“Bonjour m’dame ! Beau temps, agréable journée !
J’espère vous trouver en bien bonne santé ?”
Mais elle laissa tomber parapluie et panier,
poussant en le voyant un cri terrorisé.

Non loin de là, le Vieux Maire Pott déambulait ;
lorsqu’il entendit le hurlement terrifié,
il passa de peur aux teints roses et violets,
et plongea vaillamment dans son trou droit sous terre.
Cela blessa, attrista, le Troll Solitaire :
“Ne partez pas !” supplia-t-il d’un ton amer,
mais la vieille Madame Bunce fila comme une folle
se cacher sous son lit dans la poussière molle.

Le Troll poursuivit sa route jusqu’au marché,
et jeta un regard là où tout se vendait ;
les moutons devinrent fous en voyant son grand nez,
et les oies s’envolèrent en faisant tout valser.
Le Vieux Fermier Hogg renversa sa bière partout,
Bill le Boucher lança un grand couteau vers lui
et son chien Grip pris ses pattes à son cou
tournant la queue, détalant, croyant sauver sa vie.

Le vieux Troll triste s’assit et déplora son sort
devant la porte dites de Trou-de-Serrures.
Mais Perry, “le Bigorneau”, grimpa jusqu’à lui
et pour le consoler lui tapota la tête.
“Pourquoi pleurniches-tu, espèce de gros balourd ?
Tu es toujours mieux dehors qu’avec ces gens gourds !”
Il cala une claque amicale dans son dos,
et rit lorsque le Troll sourit d’un air idiot.

“Oh, Perry le Bigorneau”, s’exclama le vieux Troll,
“Viens donc avec moi, tu es l’ami qu’il me faut !
Si tu veux faire à présent une courte course,
Je te porterai jusque chez moi pour le thé.”
Perry sauta sur son dos et s’accrocha fort ;
“On y va !” s’écria-t-il, et sans faire d’efforts,
le Bigorneau fit cette nuit là un régal,
assit sur les genoux du vieux Troll-trône royal.

Il y avait des tartes et tartines beurrées,
des confitures, des crèmes et des gâteaux fourrés :
le Bigorneau fit de son mieux pour tout manger,
et tant pis si ses boutons devaient tous sauter.
Le feu était bien chaud, et la théière chanta ;
elle était vaste et brune, et remplie jusque là
et le Bigorneau essaya de tout ingurgiter,
au risque de périr noyé dans tout ce thé.

Lorsque son gilet, et la peau de son ventre,
furent tous deux tendus au point où plus rien n’entre
ils restèrent sans parler, jusqu’à ce que le vieux Troll
ne dise : “Je t’apprendrai dès lors une farandole
gourmande et l’art de la boulangerie,
à faire un pain savoureux, qui croustille,
et des baguettes brunes légères sur les papilles ;
ensuite, sur un lit de bruyère tu pourras t’allonger,
et avec des oreillers de duvet d’effraie.

“Jeune Bigorneau, où étais-tu ?” demanda-t-on quand il revint.
“A un thé très complet” leur répondit Perry.
“Je me sens gros et gras, tant j’ai croqué de pain
craquant – Mon gars, était-ce dans la Comté, ici ?
Où bien était-ce à Bree ?” demandèrent moult têtes.
Perry se redressa et répondit tout net :
“Ca, l’Bigorneau n’vous l’dira point !”

“Moi je sais où c’était !” dit Jack le Fouineur.
“Je l’ai vu prendre le large à la dernière heure :
De fait, il chevauchait sur le dos du vieux Troll
jusqu’aux collines dites de Très Reculées !”
Aussitôt tous les Gens, soudain déterminés,
partirent à poney, à pieds ou en carriole,
jusqu’aux collines où la maison était creusée
et où l’on pouvait voir fumer une cheminée.

Ils martelèrent du poing la porte du vieux Troll :
“Fais cuire pour nous un pain généreux et croustillant,
s’il te plaît, un ou deux, ou plus, des pains craquants !
Au fourneau !” s’écrièrent. “Au fourneau, aux darioles !”
“Rentrez chez vous ! Dehors !” répondit le vieux Troll.
“Il ne me semble pas vous avoir invités, drôles.
D’ailleurs, je ne fais cuire mon pain que le Mardi,
et cela seulement pour des amis choisis !”

“Rentrez chez vous ! Dehors ! Vraiment, vous faites erreur.
Elle est bien trop petite, ma très humble demeure ;
je n’ai pas de tartes, de crèmes ou de gâteaux :
ils ont été mangés, tous, par le Bigorneau !
Toi Jack, et Hogg, la vieille et le vieux Bunce et Pott
je ne veux plus vous voir, ni aucun lèche-bottes.
Partez donc ! Allez-vous en par monts et par vaux !
Perry le Bigorneau est l’ami qu’il me faut !”

Dès lors, le Bigorneau prit tellement de bidoche
à force de manger de la bonne brioche
que son gilet craqua, et jamais un chapeau
ne voulu sur sa tête s’enfoncer comme il faut ;
car Chaque Mardi il se rendit prendre le thé
sur le sol de la cuisine, bien installé,
et le Troll semblait de plus en plus petit
alors qu’au contraire gonflait, enflait Perry.

Le Bigorneau aussi devint grand Boulanger,
que l’on célèbre encore dans moult épopées ;
la renommée épique de ses pains longs et courts
de la Mer jusqu’à Bree croît et perdure toujours.
Mais jamais cependant pain ne fut plus croquant,
et jamais beurre ne fut plus riche et généreux
que ceux qui furent servis par le vieux Troll heureux
pour le thé de Perry, le Bigorneau friand.

*

> Poème original : Perry-the-Winkle.
> Une (bonne) lecture par socialmike.
> Plus d’infos sur ce poème.

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