Rosemary’s Baby, thriller de Roman Polansky (1968)

La naïve Rosemary et son égoïste compagnon Guy décident d’emménager dans un nouvel appartement, comptant y élever de futurs enfants. Leurs voisins se présentent à eux, intrusifs mais aidants, et les mettent en contact avec le meilleur gynécologue de la ville. Tout semble aller pour le mieux, mais Rosemary commence à étouffer au contact de ses nouvelles connaissances, qui la coupent de ses anciens amis… D’autant plus que personne ne se préoccupe des douleurs qu’elle ressent au court de sa grossesse, que certains de ses proches sont atteint de maladies étranges et que, durant l’un de ses cauchemars, elle a rêvé d’avoir reçu la visite du diable… Elle commence peu à peu à douter des intentions de ses nouveaux amis.

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Pour le coup, ce film est bien horrible. Mais, connaissant ses crimes, je ne suis pas certaine que Polanski souhaitait vraiment critiquer l’aspect oppressant du patriarcat.

Sorcellerie ou paranoïa ? Ce film se décide au final pour l’une des deux  -personnellement, j’aurais préféré que le doute subsiste, poussant d’avantage le film du côté de l’horreur humaine plutôt que surnaturelle. Cependant, la plus grande partie de l’histoire nous laisse indécis. On ne peut vraiment savoir avant la fin si Rosemary est aux prises avec une secte, de véritables sorciers, ou si au contraire elle a simplement sombré dans la folie.

Pour moi l’intrigue illustre bien un certain type de manipulation, celui qui permet de garder la main mise sur une partie de la population de manière subtile mais efficace, en les faisant douter d’eux-mêmes. Je citerai les sectes et les manipulateurs narcissiques, mais également tout ce qui relève du sexisme, du racisme, et toutes autres discriminations instaurées pour garder le contrôle sur quelqu’un. Ici, puisque Rosemary est une femme, je parlerai plus spécifiquement du sexisme, bien que le type de chantage affectif employé puisse être utilisé contre n’importe qui.

Au début, Rosemary est une femme au foyer plutôt passive, qui ne prend pratiquement aucune décision sans l’approbation de Guy et lui passe tout, même d’avoir utilisé son corps sexuellement alors qu’elle était inconsciente. (J’hésite à appeler cela un viol puisque, même si techniquement c’en est un, Rosemary ne semble pas vraiment l’envisager sous cet angle.) Au fur et à mesure de l’intrigue, la jeune femme cherche à s’affirmer face à l’intrusion de ses voisins et à l’égoïsme de son compagnon : elle organise une fête sans les inviter et, finalement, prend la fuite. Cependant, la fin du film semble impliquer, possiblement, une régression, un repli autour du seul rôle maternel. Rosemary n’aura donc pas réussit à se libérer de l’emprise des sorciers autour d’elle.

Cette emprise est d’autant plus pernicieuse qu’elle est réalisée sous couvert de bonté et que d’ailleurs, les manipulateurs en question ne sont pas fondamentalement cruels -ils n’ont juste aucun respect pour Rosemary en tant que personne, leur intérêt en elle se bornant à sa capacité à materner. A aucun moment ils ne la voit comme une fin en soit -Rosemary en tant que telle- mais comme un moyen -une génitrice pour les sorciers, un moyen d’assouvir ses ambitions pour Guy. Même le docteur Hill, qui la rend aux sorciers en pensant qu’elle est en proie à la paranoïa, préfère écouter un confrère respecté plutôt que son opinion. Rosemary n’a le droit d’exister qu’en tant que mère ; c’est seulement après son accouchement qu’on daigne lui expliquer ce qui se passe, ou la traiter avec respect.

L’horreur de la situation réside en le fait que Rosemary n’est écoutée ou crue par pratiquement personne, elle-même compris. Son médecin Sapirstein, ses voisins et son mari minimisent la douleur qu’elle ressent durant sa grossesse et son importante perte de poids. “Je ne peux plus sortir” fait-elle remarquer -“et alors ?” répond le médecin. Clairement, seule importe son enfant, non la vie, la santé ou les ambitions propres de la mère. Seule ses amies, lors de la fête qu’elle organise, se préoccupent vraiment d’elle et tentent de l’aider, mais elle s’en coupe elle-même lorsque, sa douleur passant, elle décide de continuer à suivre les conseils du Dr Sapirstein : entourée de personnes apparemment bienveillantes, elle en vient à douter de ses propres opinions.

Rosemary est donc réduite au rôle de mère par son entourage sorcier, qui s’efforce d’éliminer ses véritables ami-es. Son médecin lui déconseille de se faire sa propre opinion en l’interdisant de lire et d’écouter ses amies. Guy lui-même  la délaisse pour sa carrière, l’utilise quand bon lui semble, jette le livre lancé en héritage par un défunt (“Je ne voulais pas manquer la nuit de conception du bébé !” lui dit-il lorsque, après avoir perdu connaissance, elle se réveille avec des griffures sur le corps. “Ca faisait un peu nécrophile, mais ne t’inquiète pas pour moi, on s’y fait.”). Aucun ne la maltraite ouvertement cependant, personne ne la frappe, ou ne cri ; ce ne sont que bons conseils et services… si bien que Rosemary en vient tout naturellement à se mettre en question elle-même. Là est tout l’intérêt du film, de cette métaphore à peine voilée : une société bien pensante qui prouve bien que, de fait, “Dieu est mort”.

Si quelqu’un a du mal à comprendre le sexisme, qu’il regarde ce film. Il devrait mieux comprendre en quoi ce qui est fait “pour le bien” d’une personne ne sert en fait que les ambitions de manipulateurs égoïstes. “Ils m’ont promis qu’ils ne te feraient aucun mal”, dit Guy à Rosemary lorsqu’elle découvre en fin de compte que son viol, sa grossesse douloureuse, la mort de ses amis, la trahison de son époux et le mensonge de ses capteurs selon lesquels son enfant est finalement mort ont servis à mettre au monde un monstre. “Et ils ne t’en ont pas fait, n’est-ce pas ? Pas vraiment. Après tout, c’est juste comme si tu avais vraiment perdu le bébé. Et nous allons être riches !”

J’ai toujours trouvée que “voir le monstre” (ici le diable) dans un film d’horreur annulait la crainte qu’il peut causer. Je trouve cela plutôt kitch, ce qui me rappelle le (par ailleurs excellent) Bal des Vampires du même auteur. J’aurais préféré que l’enfant n’aient pas de caractéristiques démoniaques ; il aurait été bien plus horrible à mon sens que Rosemary ait subit tout cela tout simplement parce qu’elle était tombée aux mains d’êtres humains convaincus de mieux savoir que tout le monde… et capables, d’un simple coup de fil, d’obtenir un rôle à un acteur peu talentueux. Polansky reste au degré moins réaliste de la métaphore, ce qui fonctionne tout de même très bien. Ce film parle des fous sains d’esprits que nous côtoyions tous les jours, de ces personnes ni bonnes ni mauvaises qui commettent par égoïsmes des actes innommables. Et sa fin inhabituelle m’a bluffée (serais-je trop habituée aux bains de sang d’Hollywood ?…).

Ai-je mentionné qu’outre sa remarquable beauté, Mia Farrow délivre ici une performance extraordinaire ? La caméra ne la quitte pratiquement pas du regard, et pas un instant on ne voit de fausse note. En parlant de jeu d’acteur ; le compagnon de Rosemary, comédien dans l’intrigue, nous offre une jolie scène de mise en abîme durant laquelle il répète pour un rôle, jouant (bien) aussi mal que dans les vieux films… Je mentirais en disant que je n’ai pas ris.

*

Cela faisait des années que je me promets de voir ce film ; c’est chose faite… et j’aimerais dire, “quelle horreur !” (ce qui est plutôt bon signe pour un film de genre, n’est-ce pas ?). Pas de gore, rien de spectaculaire, mais… Mais si on va au fond des choses, cette histoire donne pour le coup envie de saisir un couteau et de trancher en deux tout ce qui bouge. Dommage que, comme ce film le montre, se défendre est peine perdue, car les ennemis sont partout… A ne pas regarder si vous êtes déjà parano !

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