Strangers Things (saisons 1 et 2), série de science-fiction par Matt et Ross Duffer (2016, USA)

Saison 1 : Durant la Guerre Froide des années 80, qui oppose les États-Unis à la Russie, un laboratoire relâche accidentellement un monstre dans le petit village d’Hawkins. La créature enlève plusieurs personnes dont le jeune Will. Sa mère et ses amis partent à sa recherche, sans se douter qu’ils luttent contre des forces surnaturelles…

Saison 2 : [spoilers de la saison 1 – sélectionnez le texte pour le lire) : Will est mal guéri de sa rencontre avec la créature surnaturelle qui a cherché à le dévorer. Il est toujours connecté avec la dimension dont provient le monstre, et découvre que ce dernier n’était que le premier d’une armée contre laquelle les humains n’ont aucune chance… La seule solution est de refermer le portail interdimensionnel ouvert sur notre monde, un exploit d’autant plus difficile que «le monde à l’envers» commence à prendre le dessus sur la réalité d’Hawkins. [/spoilers]

Stranger Things ou Star Wars ? Ce poster me rend confuse…

Cette série est impeccable au niveau de la forme. Chaque épisode est prenant, rempli de suspens et de rebondissements. Les deux saisons se complètent sans se répéter, la saison 2 traitant des conséquences des évènements de la saison 1.

Cependant, Stranger Things manque de profondeur. Les récits horrifiques sont souvent une sorte de cauchemar codé qui permet au spectateur d’affronter une de ses peurs dans un environnement sûr. Ici, les codes de l’horreur sont respectés mais l’intrigue ne s’aventure jamais complètement dans la dimension symbolique associée. Tous les ingrédients sont réunis mais pas développés au point d’effectuer une catharsis, c’est-à-dire une purge des émotions, satisfaisante.

Dans la saison 1, nous avons droit à une histoire de monstre : c’est généralement une façon d’aborder sa peur de l’inconnu, de l’autre et de l’inexplicable. Les intrigues parallèles (la confrontation à Onze et ses pouvoirs surnaturels) et le contexte (Guerre Froide) se prêtent parfaitement au thème. Cependant son traitement manque de nuance. On prête des intentions malveillantes au monstre sans chercher à le connaître (bien que la saison 2 suggère qu’il ne soit pas «maléfique» par le biais de Dart). À l’opposé Onze, qui a été élevée sans morale, est toujours montrée comme victime de cette éducation et de ses propres capacités plutôt que véritablement terrifiante. On se retrouve avec deux «monstres», l’un abordable et l’autre pas, sans nuance entre ces deux états bien que le lien entre la créature et Onze soit explicite au point qu’on se demande parfois s’il ne s’agit pas de la même entité.

D’autres intrigues manquent également de psychologie. Onze recherche une famille mais, malgré l’exploration de cette trame dans la saison 2, on passe trop superficiellement sur son état mental pour que la guérison de sa blessure, symbolisée par la fermeture de la faille, semble crédible. Quelques lignes d’excuses de la part du shérif, quoique bienvenues, ne suffisent pas à effacer sa maltraitance envers elle. Idem pour la «trahison» innocente de sa tante, ou le choix que fait Onze de quitter sa «sœur». Tout va trop vite!

C’est pareil pour le fait que Will souffre de stress post-traumatique suite à son retour du «Monde à l’envers». On a un parallélisme évident entre son trouble mental et les évènements surnaturels, mais l’ensemble est trop rapide et aurait mérité un véritable approfondissement. Je suppose que la trame encore plus superficielle concernant Huit est une mise en place d’une potentielle saison 3, plus focalisée sur les autres «numéros» comme Onze et Huit. C’est à la fois une bonne idée d’installer ici l’intrigue à venir et une perte de temps car ce détour de Onze est trop peu développé et tombe comme un cheveu sur la soupe…

En fait, nous avons ici une série comportant tous les éléments d’un très bon récit mais qui aurait mérité plus d’épisodes pour les laisser mûrir correctement.

J’aime pas les figures Pop mais j’avoue que donner des gaufres à Onze était une bonne idée.

En ce qui concerne les personnages, j’aimerais faire une ovation aux acteurs mineurs de la série. L’ensemble du casting est exceptionnel, mais que les enfants parviennent à jouer aussi bien est aussi rare que bienvenue. À (presque) aucun moment je n’ai été tiré hors de mon visionnage par un jeu d’acteur en barreau de chaise.

Par contre, Stranger Things fait preuve d’un sexisme et d’un racisme latent. Je pense honnêtement que les réalisateurs ne s’en rendent pas compte. Certes, la série se déroule dans les années 80, mais elle est tournée aujourd’hui, avec des valeurs d’égalité que les producteurs ont tenté de respecter en mettant en avant des personnages féminins intéressants. MAIS… la parole des femmes est réduite à presque un tiers (voire moins) de celle des hommes. La mère de Will passe plus de temps à pleurer qu’à dialoguer. Max parle très peu. Onze ne parle presque pas. La mère de Onze a carrément perdu l’esprit. Barbara dit deux phrases avant de disparaître complètement. Seule Nancy, adolescente typique et ordinaire, relève le niveau en se découvrant petit à petit un goût pour l’aventure. Tout aussi banale que son frère Mike, elle se comporte comme une jeune fille lambda et c’est rafraichissant : bien travailler à l’école, avoir un petit ami, tuer des monstres… un vendredi, quoi.

À part Nancy, les femmes ne prennent pratiquement aucune décision, voire subissent la volonté et les maltraitances des hommes, alors que le contraire n’est pas vrai. Les hommes ne les aident pas (le père de Mike et Nancy), ne les croient pas (Jonathan et le shérif concernant la mère de Will), les hommes les espionnent (Jonathan), les insultent (Lucas), les menacent (l’ami de Steve), les frappent (le frère de Max), les torturent (le père de Onze), détruisent leur esprit (les scientifiques)… Présenter tous les hommes comme nuisibles et toutes les femmes comme bienveillantes n’a rien de féministe. L’égalité, dans cette série, est donc aussi superficielle que ses messages. Et qu’on ne vienne pas me dire que la série est d’autant plus horrible que les femmes sont torturées. Soyez gentils de torturer des hommes aussi, des fois. Histoire qu’ils se sentent aussi mal à l’aise que moi devant la télé.

Par contre, qui arrivera à dormir avec une figurine de démon-gorgon à côté de son lit ??

En parlant de malaise… je ne sais que penser du personnage de Lucas dans la saison 1. C’est le seul acteur noir de la série (pas étonnant vu qu’on parle des années 80 aux USA), mais c’est aussi le seul qui ouvre la bouche uniquement pour cracher sur Onze… qu’on nous a rendu bien sympathique. Résultat, Lucas est le rabat-joie désagréable de cette saison. D’un côté, cela fait sens scénaristiquement : Mike étant le protagoniste principal, ses deux amis représentent deux facettes de son rapport à Onze. Dustin est enthousiaste alors que Lucas se montre craintif. Je reformule : l’acteur atteint de dysplasie cléidocrânienne est fasciné par les pouvoirs de Onze alors que l’acteur noir les dénigre. C’est là qu’on voit la limitation des «quotas» dans le casting des acteurs à l’écran.

Clairement les réalisateurs ont voulu faire «un effort» de représentation, mais au final le héros du trio est toujours un acteur blanc valide (Mike est adorable mais ce n’est pas le sujet), alors que les personnes handicapées physiquement (Dustin), mentalement (Joyce, Onze) ou socialement (Lucas, les femmes) ne sont que des side-kicks. Mon but ici n’est pas de critiquer le personnage de Mike, ni les hommes blancs valides, mais de faire remarquer qu’une série qui se targue d’inclusivité, c’est-à-dire de vouloir montrer un échantillon réaliste de l’humanité, est en fait complètement à côté de la plaque. Comme pour son intrigue, ces «bonnes intentions» sont en fait superficielles. Le seul personnage qui se démarque est Nancy, parce qu’elle ne tombe pas dans le cliché de la «femme forte» qui casse des briques ni de la demoiselle en détresse (contrairement à MadMax et Onze, qui cumulent les deux postes), parce qu’elle maintient une vie culturellement féminine sans que cela soit critiqué. Cela dit, elle a beau être la meilleure tireuse du groupe, ce n’est pratiquement jamais elle qui porte le flingue…

Vu le nombre de références à Stephen King dans cette série, je ne suis pas étonnée qu’on tombe dans le sexisme et la superficialité (déso pas déso Stephen).

Question réalisation, la série est sans défauts. Sans originalité non plus. L’ensemble est soigné, de bonne facture, l’ambiance des années 80 nous parvient sans anicroche… la série est maîtrisée sans être révolutionnaire.

*

Malgré mes jérémiades j’ai trouvé la série de très bonne qualité. Il lui manque ce «petit plus» philosophique que je recherche avidement dans mes fictions, donc je la mets au niveau de Battlestar Galactica et The Good Wife à ce sujet (bien que niveau message et représentation des minorités on soit loin du compte). Ce sont deux très bonnes séries, impeccables sur la forme, qui racontent leur histoire sans message métaphysique (même si BSG se perd un peu dans l’ésotérisme sur la fin).

Je recommande Stranger Things aux amateurs de frissons, tout en leur rappelant de garder un esprit critique sur ce qu’ils regardent.

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