Un écrivain rencontre trois personnes qui le font s’interroger sur les coïncidences : combien de chances avait-il de ranimer les souvenirs d’un inconnu rien qu’en sifflotant un vieil air ? De se rappeler soudain un temps lointain, celles des plages d’Algérie ? Le hasard, ce “flûtiste invisible” comme l’appelait Einstein, est-il le seul sauveur de Toma et de sa famille, est-ce vraiment le froid qui les a aidé ?
Dans un style simple et élégant, bien qu’il n’hésite pas à utiliser des notes plus vulgaires, l’écriture de Labro nous rapporte ces trois histoires, entrecoupées de quelques réflexions sur le hasard.
L’interrogation thématique, “qu’est-ce que le hasard ?”, est abordé subtilement, trop subtilement à mon goût -et pourtant, je préfère la délicatesse dans le traitement des sujets. Cependant chaque récit est présenté comme tel, narré par un écrivain, clairement romancé ; “Je vais vous raconter l’histoire de…” Le roman nous prévient donc de sa subjectivité.
Ici, nous avons trois contes, chacun abordant la question du “flûtiste invisible” -sachant que l’expression même est biaisée en cela qu’elle traite du hasard comme d’une potentielle entité douée de volonté- état souvent associé aux déesses et dieux. C’est impliquer la potentielle existence d’une ou de plusieurs divinités. Or le thème du divin n’est pas abordé plus avant. D’un point de vu personnel, je pense que l’introduire sans y revenir plus tard appauvrit la réflexion sur le destin.
La première nouvelle parle des émois érotiques d’un jeune émigrant français se rendant aux états-unis : il rencontre une belle jeune femme, tombe sous son charme sans vraiment la comprendre, et a finalement droit de coucher avec elle avant de partir. Un conte de fée clairement destiné à la gens masculine -reprenant les codes habituels de la femme fatale dominatrice, mystérieuse, versatile mais toujours vulnérable, ainsi que ceux du jeune premier ignorant et encore désarmé face à son désir. Ce genre de fantasme plaira sans doute à d’autres ; personnellement elle m’a laissée de marbre.
La seconde histoire rapporte des souvenirs d’Alger, de plages et de baignades. Ainsi que celle d’un tueur à gage qui aurait dû, mais n’a pas, assassiné le narrateur lorsqu’il en avait l’occasion et le lui raconte plus tard lors d’une rencontre fortuite dans un bar. Un petit tour dans l’histoire de l’Algérie française, au moment de sa révolution indépendantiste, intéressant mais peu développé. Le tueur à gage ne s’attarde pas non plus sur les raisons de son action avortée -comme il le dit, c’est un truc d’intellectuel de tout analyser. Il avait raison, son récit me laisse baignant dans la curiosité.
Le troisième conte aborde une nouvelle guerre, celle de 1939-45, par le biais de Toma, un enfant israélite sauvé du camp d’Auschwitz par une série de hasards inexpliqués : le froid, le fait qu’il ait atteint ses limites, les changements de trajets pour les trains… Un rapport réaliste -à défaut de réel- des évènements, une sorte de témoignage romancé. Là non-plus, le hasard n’est pas expliqué.
Ce roman nous offre donc quatre histoires -les trois ci-mentionnées encadrées par celle de leur narrateur, chacune dépeignant des évènements découlant d’étonnantes coïncidences. Mais il s’arrête là. Comme lorsque quelqu’un vous dit, “oh, le hasard est étrange, par exemple [insérer ici l’un des récits], c’est fou, hein ?” J’aurais préféré que l’auteur nous offre un peu plus de sa vision des choses plutôt que de simples illustrations.
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Un roman bien écrit, plutôt intéressant de part son traitement historique (du moins pour les deux derniers contes), mais trop léger pour mes propres appétits intellectuels. Je ne vous le recommande que si vous vous reconnaissez dans ce genre de récits.
Extraits de l’interview sur le site de Gallimard
S’agit-il d’un roman, ou d’un reportage à la rencontre du flûtiste invisible ?
C’est un roman, parce que les situations sont romanesques et que j’ai, selon la belle formule d’Aragon, brouillé les cartes de l’imaginaire, du vécu, de l’observé et de l’inventé. Quand j’évoque les plages d’Algérie, c’est du passé, de la nostalgie, un regret, une culpabilité… mais pas du reportage. Quand je raconte la découverte de la sexualité sur un transatlantique, c’est un fantasme, puisque je ne l’ai pas vécu même si j’aurais souhaité le vivre, et cela n’a rien à voir avec le journalisme : on peut appeler ça de la littérature !
Vous insistez sur la différence, dans un moment crucial, entre l’intervention du « flûtiste invisible » et le libre arbitre ?
C’est la grande différence entre la soumission à « l’élément inconnu » et l’action. L’action vient de soi, c’est la capacité de décider en une fraction de seconde du geste qui ouvre une issue. Dans la troisième séquence – on pourrait définir ce roman comme un film en trois séquences –, on voit un homme sauvé une première fois par le destin, une seconde fois par l’instinct. En même temps, il a réfléchi. Jusqu’où domine l’instinct, où commence la réflexion ? Question passionnante.