Comment faire de la recherche pour son roman ?

« Vous allez être confronté à des problèmes tout bêtes comme : combien de temps de trajet Monsieur Truc a pour aller à son travail ? Combien de jours de cheval entre Trucville et Machincity ? Est-ce qu’il y a des douches dans les vaisseaux spatiaux ? » Mademoiselle Cordélia

Il est crucial de se documenter sur les éléments les plus importants de son intrigue avant de commencer à la rédiger, sous peine d’avoir à beaucoup réécrire… Il est notamment obligatoire de se renseigner lorsqu’on se lance dans l’écriture d’un roman historique, de science-fiction, ou qu’on veut tout simplement avoir une approche réaliste. Il est important de noter que la recherche se fait en fonction du sujet de l’oeuvre, de son genre, de son ton et de son objectif et que, dans certains cas… elle peut prendre des années. Donc si vous compter attendre l’âge de votre retraite pour écrire, commencez à vous renseigner aujourd’hui !

Pourquoi se documenter avant d’écrire son roman ?

« Un: s’informer. Deux: réfléchir. Trois: écrire. S’informer est indispensable. On ne parlera bien d’un lieu que si on y est allé pour faire des repérages. On ne parlera bien d’un métier que si on a discuté avec une personne qui la pratique. Évidemment on peut imaginer, mais le plus on se frottera au réel, le plus on découvrira de choses et on pourra raconter d’anecdotes vraies. Et le lecteur sent tout de suite ce qui est pur délire d’auteur et ce qui est une observation réelle. » B. Werber 

À moins d’entreprendre la rédaction d’un roman dada s’informer bénéficie à tous les genres, qu’on parle du « petit fait vrai » cher à Flaubert ou d’un évènement capital ayant changé le cours de notre Histoire. Cela permet d’enrichir son récit, de trouver des sources d’inspiration pour étoffer son intrigue, d’éviter le hors sujet, de paraître crédible et de rester cohérent. Cependant, la recherche n’a pas la même utilité en fonction du but de votre texte ni de son genre.

Créer l’illusion du réel

Pour les biographies ou les fictions historiques, il est important de savoir précisément de quoi on parle avant d’interpréter nos données de manière romanesque. Cependant il est vain de s’imaginer qu’on pourra, en une oeuvre, retranscrire fidèlement l’ensemble d’un monde, d’une époque, d’une personne ou d’une pensée. Au contraire d’un historien, dont le but est de recenser les causes ayant mené selon son opinion à telle ou telle conséquence, un auteur veut raconter une histoire à partir de faits passés. C’est pourquoi le but est d’en savoir le plus possible mais de n’utiliser qu’une partie de ces connaissances. Le film biographique Molière d’Ariane Mnouchkine est une perle du genre : il nous replonge dans une époque à force de détails sans pourtant raconter la vie du célèbre comédien de manière exhaustive. Je vous le recommande d’ailleurs si vous faites des recherches sur lui ou son époque.

Être crédible à défaut de vraisemblable

Dans le film Marie-Antoinette de Sofia Coppola nous pouvons relever plusieurs anachronismes, le plus connu étant un plan sur des converses roses, évidemment inexistantes à l’époque, mais par exemple aussi sa consommation de macarons. Ces erreurs, aberrantes dans une fiction se voulant véritablement historique, peuvent cependant être excusées par le mélange des tons de ce film, tourné comme un teen movie d’aujourd’hui. Ces anachronismes ne font que renforcer la comparaison de Marie-Antoinette à une adolescente « pop » et « hipster » d’aujourd’hui, et servent le message de fond : la jeune reine de France n’était qu’une jeune personne qui a été prise dans un conflit politique qui la dépassait. La recherche se concentre ici sur le personnage et les évènements qui le touche plutôt que sur les détails de son environnement physique.

C’est le même principe d’anachronisme comme outil littéraire qui est utilisé dans la série Kaamelott d’Alexandre Astier, qui balance constamment entre nos convictions modernes et celles de l’Angleterre arthurienne pour faire tomber le mur culturel et nous faire réfléchir à ce que nous envisageons comme « la norme ». Cet aller-retour constant entre nos convictions et celles du passé permettent de déconstruire nos apriori sur ces deux époques mais ne peut fonctionner que si on maîtrise son sujet, soit dans le cas de Kaamelott, à la fois la pensée moderne, l’Histoire celte et le passé romain… le triple de travail par rapport à une fiction historique ordinaire !

Le devoir d’écrivain

Cet aspect pourrait prendre des pages entières alors je vais ici me contenter de le résumer pour pouvoir le développer ailleurs. En bref, à moins que vous ne comptiez faire lire vos textes à personne, vous n’écrivez pas en cercle fermé et vous devez le respect à vos lecteurs. Comme à tout être vivant. Par conséquent, si vous choisissez de parler de personnages peu ou mal représentés en général, vous leur devez de vous renseigner pour ne pas leur porter préjudice.

Par exemple, le roman historique porté à l’écran The Da Vinci Code de Dawn Brown compte Silas, un personnage albinos. Très bien. Silas est un meurtrier fanatique, ce qui pose déjà problème car la majorité des personnages de ce type sont présentés comme malfaisants : d’après Michael McGowan, lui-même albinos et à la tête de l’Organisation Nationale de l’Albinisme et de l’Hypopigmentation (National Organization for Albinism and Hypopigmentation), le Da Vinci Code était le 68ème film depuis 1960 représentant un méchant sous les traits d’une personne albinos. Pas étonnant que Silas soit stéréotypé, c’est-à-dire pâle, les cheveux blancs, les yeux rouges… puisque c’est le cliché qu’on retrouve dans la majorité des oeuvres représentants ces personnes ! Et pourtant, il existe des personnes albinos noires. Ou rousses. Pas repérables par le spectateur lambda. Et, bien évidemment, elles ne sont pas toutes méchantes.

En tant qu’auteurs, nous devons avoir conscience que ce que nos oeuvres fictives considèrent comme des symboles sont dans certains cas des personnes bien réelles, et que le rôle que nous leur donnons dans nos fictions a un impact tout aussi réel dans leur vie. Dans le cas des personnes albinos, entretenir leur statut mystique (en mal et en bien) conduit littéralement à leur meurtre. En Tanzanie et Malawi par exemple, où la prévalence de personnes albinos noire est très importante, leur association à la magie en fait régulièrement les victimes de « sorciers » qui se servent de leurs organes dans des pratiques « magiques ». Ces personnes sont souvent surnommées « argent » en référence au prix qu’on peut tirer de leur corps.

Pensez au mal que vous pouvez faire en accentuant des superstitions néfastes ou mortelles. Pensez au bien aussi, au fait d’offrir un angle de vue neuf et positif sur une part méconnue de notre humanité. On dit que l’erreur est humaine : l’important n’est pas de cerner parfaitement tous les tenants et aboutissants d’un problème, d’autant que c’est impossible lorsqu’on n’est pas concerné, mais de faire de son mieux pour traiter les autres avec respect.

Vous aurez à répondre de vos écrits. Surtout si vous avez du succès, et que votre texte peut blesser d’autant plus de personnes. Si vous n’êtes pas près à prendre vos responsabilités durant et après l’écriture, ne publiez pas.

Comment faire de la recherche ?

Faire une ébauche puis affiner

Dans l’idéal, conduisez vos recherches principales avant de commencer à rédiger, et n’hésitez pas à vous laisser une note dans la marge lorsque, en cours d’écriture, vous bloquez sur un point au contraire mineur. C’est à dire que vous devez savoir comment votre protagoniste aveugle interagit avec le monde avant de commencer à l’écrire, mais que vous n’avez pas à vous préoccuper sur le moment de savoir si, à son époque, le taffetas existait déjà (à moins que ce ne soit crucial dans votre intrigue). Pour les noms de lieux ou de personnages secondaires, il m’arrive souvent d’écrire un TRUCMUCHE que je remplacerai ensuite facilement via un ctrl+ find and replace.

Commencez par établir une liste de ce qui vous semble important de connaître. Faites ensuite une recherche rapide sur Internet pour étoffer votre champ de recherches sur le sujet, et pour éliminer les fausses pistes. Sélectionnez les oeuvres fictives et les essais à consulter. N’oubliez pas de sélectionner plusieurs auteurs pour un même sujet pour recroiser leurs point de vue. Quand votre liste semble complète, passez à la recherche elle-même. Lisez d’abord les articles courts, puis passez aux plus longs voire aux essais et aux documents historiques. Alternez avec les oeuvres fictives en rapport avec votre thème quand cela devient fastidieux.

Par exemple, pour écrire cet article, j’ai commencé par rédiger un plan grossier des points qui me semblaient importants. Ensuite, j’ai cherché sur Internet des textes traitant le sujet pour compléter mes propres idées. La troisième étape serait de consulter des essais sur les techniques d’écriture, ce que j’ai déjà fait : je travaille à partir de mes notes (je vous conseille d’ailleurs Story, Substance, Structure, Style, and the Principles of  Screenwriting de Robert McKee).

Organiser ses recherches

Prenez des notes au fur et à mesure de vos recherches, que ce soit de manière informatique ou sur papier. Regroupez les et classez-les de la façon la plus facile pour vous de vous y retrouver ensuite. Si vous vous engagez dans la rédaction d’un roman historique et que vous lisez des ouvrages conséquents, faites-en des résumés regroupant les points importants pour vous, les citations qui vous intéressent et les idées qui vous sont venues. Notez la page où vous pourrez retrouver chaque élément pour ne pas perdre de temps ensuite si vous devez y revenir.

Faite une liste claire de vos sources au fur et à mesure de vos recherches. Sur Internet, relevez les liens pour vous y retrouver facilement et faites-vous des dossiers de recherche sur votre navigateur pour y ranger les articles consultés ou à lire. Pour les supports matériels, notez le titre, l’auteur et si possible la section et la page où se trouve l’information qui vous intéresse. Personnellement, j’imprime certains articles et je regroupe tout dans des classeurs. Plus vous serez organisé en amont, moins vous aurez de mal à retrouver l’information plus tard !

Trouver où chercher

Dans la fiction

En fiction, cela implique de lire les romans les plus pertinents sur le même thème, et de consulter d’autres médias tel que le cinéma. Mais ne lisez pas tout ! Si vous écrivez une fiction sur des vampires, sélectionnez en fonction de votre oeuvre : pour une  fiction historique réfléchissant à notre humanité, tentez les Chroniques du vampire d’Anne Rice. Pour un roman gothique, jetez un oeil au film Crimson Peak de Guillermo del Toro —sans croqueurs de cou, mais dans l’ambiance !

Dans le corpus académique

Consultez également des ouvrages de non-fiction sur les sujets qui vous intéressent, d’autant plus que leurs propres sources peuvent former un point de départ pour des recherches plus avancées. Commencez par des articles courts qui vous permettrons de vous guider précisément dans votre recherche, par exemple sur Internet. Une fois que vous saurez exactement les points que vous devez approfondir, vous pourrez vous lancer dans des lectures plus fastidieuses comme les essais académiques.

Dans la réalité

Finalement, si vous écrivez un texte qui se doit d’être exact, tournez vous vers les documents historiques provenant directement de l’époque qui vous intéresse : témoignages, autobiographies, livres ou récits oraux de l’époque mais aussi livres de comptes, articles de journaux… Vous pourrez en trouver dans les archives nationales et certaines bibliothèques. Si ces documents n’existent pas ou que vous parlez d’une période précédent l’Histoire écrite, faites un tour dans les musées pour en déduire de vous-même ce que pouvait être la vie à cette époque.

Rendez-vous sur place, surtout si vous parlez d’un pays de nos jours, de manière à vous imprégner de l’esprit du lieu et à recenser des sensations que le papier ne peut transmettre : les sons, les odeurs… Si vous n’avez pas les moyens de voyager, lisez des guides touristiques, consultez des banques d’images et les cartes Internet comme Google Earth.

N’oubliez pas que via Internet vous avez accès au savoir de millions de personnes ! Personnellement, je cherche des témoignages directs dans les forum dédiés et sur Youtube, où des personnes partagent leurs expériences. Certaines offrent même des conseils sur la manière d’écrire des personnes avec leurs particularités et leurs expériences de vie.

Faites également appel à votre expérience personnelle. Il ne s’agit pas d’introduire une personne ou un lieu existant dans votre histoire, mais de vous en inspirer. Par exemple, mon personnage Marie Moravec dans L’Eau Vive est né d’une rencontre avec une militaire bien vivante (et très sympa au passage). Utilisez votre imagination pour regrouper toutes vos expériences dans une seule scène en reproduisant les bruits, les sons, les odeurs, les sensations tactiles… comme un collage de tranches de vie. Un écrivain est en recherche permanente.

Pour conclure, voici quelques oeuvres informées et informatives que je vous conseille vivement ! Pour en apprendre plus sur la cour de Versailles et la mystérieuse Madame de Maintenon, la biographie L’Allée du Roi par Françoise Chandernagor. Pour frémir devant le passé atroce de la royauté française : Les Rois Maudits de Maurice Druon, qui a inspiré Game Of Thrones à JRR Martins. Pour se rendre compte que depuis la Rome Antique la politique n’a pas beaucoup changé, la biographie romancée de Suétone La Vie des Douze Césars, et en fiction sans prétention, Les Fourmis de Bernard Werber.

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